Les « Vidaliens » : unité et diversité d’un réseau académique

Le terme « Vidalien » (« proche de Vidal ») renvoie à plusieurs catégories de figures savantes qui se chevauchent parfois mais occupent des positions notables dans le champ universitaire de la Troisième République.

Le sens le plus direct correspond à une relation classique de maître à élève. Vidal a formé plusieurs générations de disciples, à l’École normale d’abord (1877-1898), à la Sorbonne ensuite (1898-1909, puis en congé jusqu'à sa retraite définitive en 1914) : s’est ainsi constitué ce qui a été désigné comme l’« école » de Vidal de la Blache, par opposition par exemple avec le réseau d’Élisée Reclus (1830-1905), ou encore avec les représentants de la géographie historique ou ceux de l’exploration, proches des sociétés de géographie.

[Ecole normale supérieure. Promotion de 1892. Lettres : conscrits] / Pierre Petit, phot. - [Paris]

Pierre Petit, Promotion de 1892 (lettres) de l'École normale supérieure, photographie, 1892. École normale supérieure, Bibliothèque d'Ulm, PHO D/2/1892/2.

Parmi les élèves de la promotion de 1892 figurent deux futurs géographes vidaliens : Albert Demangeon et Emmanuel de Martonne qui épousera en 1900 Louise Vidal de la Blache.

Les « Vidaliens » sont d’abord les membres de cette école, unis non seulement par la méthode de géographie régionale et des pratiques de science de terrain, mais aussi autour de la revue des Annales de géographie et, à partir de 1907, du grand projet de Géographie universelle, entreprises dont Vidal est le « patron » indiscuté. Il faut cependant différencier plusieurs groupes, notamment du point de vue de leur formation, qui occupent cependant presque tous, au début du XXe siècle, des chaires de géographie dans les facultés des lettres, à Paris comme en province, incarnant ainsi l’institutionnalisation rapide de la nouvelle discipline.

Ainsi, on distingue d’abord la génération des normaliens des années 1870 et 1880, titulaires de doctorats d'histoire, d'histoire de la géographie ou de géographie historique dirigés à la Sorbonne par Auguste Himly (1823-1906) et « convertis » à la « géographie moderne » : il en est ainsi de son « lieutenant » Gallois et du « grognard » Bertrand Auerbach (1856-1942) à Nancy, également du « renégat » Marcel Dubois (1856-1916), professeur de géographie coloniale à la Sorbonne et chef d’une école concurrente plus tournée vers une science appliquée.

La génération des années 1890 accède pour sa part à une formation géographique plus constituée et mieux séparée de l’histoire, soutenant des thèses de géographie régionale à partir de 1902 et trouvant immédiatement des postes universitaires spécialisés dans la discipline : c’est le cas des (futurs) « frères ennemis » Emmanuel de Martonne (1873-1955) et Raoul Blanchard (1877-1965), ou encore de ses épigones en matière de géographie humaine Jean Brunhes (1869-1930) et Albert Demangeon (1872-1940).

Une dernière catégorie est celle des historiens et géographes connaissant l’influence du « maître » en tant qu’auditeurs de ses cours à la Sorbonne, à l’instar de Henri Baulig (1877-1962), Jacques Ancel (1882-1943), Maximilien Sorre (1880-1962) (issu de Saint-Cloud), ou comme élèves de Gallois à Ulm, par exemple Lucien Febvre (1878-1956), Jules Sion (1879-1940) et Fernand Maurette (1878-1937).

[Ecole normale supérieure : groupe général] / Pierre Petit, phot. - [Paris]

Pierre Petit, École normale supérieure : groupe général, photographie, 1900-1901. École normale supérieure, Bibliothèque d'Ulm, PHO D/2/1900/2

On distingue parmi les élèves Lucien Febvre, Henri Wallon, Jules Sion, Fernand Maurette.

Un deuxième sens renvoie à tout un groupe de savants proches de ses idées et travaillant à ses côtés, mais dont on ne peut pas dire qu’ils développent son œuvre scientifique. Il en est ainsi de figures comme celle de Paul Dupuy (1856-1948), devenu géographe sous sa férule mais surtout maître-surveillant puis secrétaire général de l’École de 1885 à 1925, dreyfusard à tendance anarchiste et pacifiste. Un troisième sens renvoie à la sphère plus intime : Lavisse reste leur vie durant l’un de ses amis les plus proches, De Martonne épouse la fille de Vidal, et son fils Joseph (1872-1915) devient officier, mais publie des travaux d’histoire et de géographie.