Vidal de la Blache (1845-1918) : identités d’un géographe

Portrait de Paul Vidal de la Blache, photographie, vers 1895. École normale supérieure, Bibliothèque d'Ulm, PHO/C/1/VIDAL/1
Fondateur de l’école française de géographie, Paul Vidal de la Blache (1845-1918) a été identifié successivement comme un pédagogue, un savant et un expert géographe. Mais il a toujours mêlé ces rôles sous des traits méditatifs et un peu secrets, et avec un style qui a séduit des générations de savants, dessinant un personnage d’écrivain, voire de poète paysagiste.
D’abord formé comme historien mais se vouant, à toutes les étapes de sa carrière, à l’enseignement de la seule géographie, il a contribué à la promotion d’une discipline scolaire emblématique de la politique de la Troisième République. Dès 1889-90, son renom supplantait, dans les réseaux pédagogiques nationaux et internationaux, celui d’Émile Levasseur, artisan de la réforme après Sedan. En 1902, dans le sillage de ses propositions, les réformateurs inscrivaient dans le curriculum des lycées, au titre des « humanités modernes », le programme même de la géographie « nouvelle ».
Le savant s’est également révélé par des recherches sur le monde ancien et sur la vie moderne qui ouvraient à la culture matérielle. Il renouvelait ainsi l’histoire, restée largement politique, inspirant des jeunes normaliens tels Henri Hauser et Lucien Febvre. Il plaçait les matériaux démographiques et ethnographiques au cœur de la géographie, en les constituant comme des marqueurs de l’emprise humaine sur la terre. Ainsi fondait-il une « géographie humaine » visant à reconnaître les interactions entre les « virtualités » des lieux — où entrent des considérations de formes, de positions relatives et de conditions naturelles — et les « possibilités » humaines collectives. S’il s’est gardé de formuler une philosophie des rapports hommes/nature, ce « possibilisme » que la postérité lui a attribué tardivement, il a inscrit cette sous-discipline dans le champ des sciences sociales par l’exemple (ainsi du Tableau de la géographie de la France, en 1903), par la référence externe et étrangère (l’écologie, la science allemande), par l’émulation, dans la controverse (sur un mode mineur) avec ses concurrents, et il devenait chef d’une école scientifique à la vitalité durable.
Enfin, l’image de l’expert en matière territoriale s’est imposée, tant pour documenter un contesté territorial (par exemple la frontière méridionale de la Guyane française, en 1899) que pour dresser prospectivement une régionalisation de la France et pour contribuer aux équilibres géopolitiques d’après la Première Guerre mondiale, en particulier dans son ouvrage La France de l’Est en 1917 et par sa participation intense aux travaux du think tank dirigé par Lavisse, le « Comité d’Études ».
S’il a répugné à l’engagement politique, notamment pendant l’affaire Dreyfus, son implication publique fut donc d’abord celle d’un universitaire central dans la culture républicaine de la fin du XIXe siècle, et d’une figure tutélaire de la géographie française jusqu’au milieu du XXe siècle. Depuis, Vidal de la Blache fait l’objet des revisites que suscitent conjonctures idéologiques et tournants scientifiques : la modernité de son apport est cependant soulignée et étudiée à nouveaux frais depuis plusieurs décennies par plusieurs générations de géographes et d’historiens (Pinchemel, Lacoste, Sanguin, Robic, Tissier, Ozouf-Marignier, Arrault…). Le centenaire de sa disparition est l’occasion collective d’insister sur son lien spécifique avec l’École normale supérieure et sur sa figure de savant, à la fois très originale et archétypique de la Troisième République, des années 1870 à la Grande Guerre.

Paul Vidal de la Blache, France : départements, carte murale, Paris, Armand Colin, 1885. Bibliothèque nationale de France, IFN-52505592. Disponible en ligne sur gallica.bnf.fr : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52505592k/