Vidal et l’École normale : vingt-cinq ans de présence
Fils d’un professeur de lettres devenu inspecteur d’académie, Paul Vidal de la Blache est un « héritier » au fort « capital scolaire » : il est reçu à l’École normale supérieure en 1863, à 18 ans, après une scolarité brillante au lycée Charlemagne. Sa période normalienne est marquée par l’ombre autoritaire de l’administrateur chargé de la direction des études scientifiques, le chimiste Louis Pasteur (1822-1895), qui applique un règlement intérieur rigoureux et s’attire l’hostilité des élèves littéraires républicains, en opposition au Second Empire.
Vidal est reçu premier à l’agrégation d’histoire et géographie, en 1866. S’ouvre alors une parenthèse de dix ans dans sa relation avec l’École. Après un bref passage au lycée de Carcassonne, il est en effet reçu à l’École française d’Athènes. Il voyage beaucoup en Italie (il est enthousiasmé par les paysages de Rome), en Grèce et en Méditerranée orientale, et assiste à l’inauguration du canal de Suez en 1869. Puis il rédige en 1870-1871, en pleine guerre franco-prussienne et pendant la Commune, ses thèses de doctorat en histoire antique, publiées sous les titres de Hérode Atticus. Étude critique sur sa vie et De titulis funebribus graecis in Asia minore. L’année même de sa soutenance, en 1872, il est appelé à l’université de Nancy et devient professeur à l’âge précoce de 30 ans

Paul Vidal de la Blache, Cours de géographie, notes de cours prises par Georges Goyau (1869-1939), vers 1888-1890, f. 23 verso (détail). École normale supérieure, Bibliothèque d'Ulm, Ms 10. Disponible en ligne sur archive.org : https://archive.org/details/ENS018Ms0010/

Bibliothèque des lettres de l’École normale supérieure, Registre des professeurs, 1878-1879, f. 200. École normale supérieure, Bibliothèque d’Ulm, AB/13
En 1877, Vidal retrouve l’École comme maître de conférences, appelé par le philosophe républicain et directeur Ernest Bersot (1816-1880) pour y donner « l’enseignement de la géographie en 3e année » des historiens. Il y reste pendant plus de 20 ans, initiant la fine fleur des étudiants à sa pensée et cumulant également, à partir de novembre 1881, le poste de sous-directeur de l’École pour la section des lettres et celui de responsable des achats de la bibliothèque de l’École, avec les bibliothécaires successifs, notamment le philosophe Lucien Herr (1864-1926), nommé en 1888. L’empreinte de Vidal sur l’institution normalienne de la « République des universitaires » triomphante et sur plusieurs générations de jeunes savants et futurs intellectuels de la première moitié du XXe siècle est donc profonde et continue.
Lorsqu’en 1898 Vidal est nommé professeur à la Sorbonne, il continue à fréquenter la bibliothèque de l’École, comme lecteur et en complément de celle, très proche, de l’université (il n’y avait pas encore d’institut de géographie rue Saint Jacques), tandis qu’il est remplacé à l’ENS par son élève Lucien Gallois (1857-1941) comme maître de conférences.

René Lespès (1870-1944), « Cartes et autres », dite aussi « Chanson de Bidard de la Blague » : revue normalienne, feuillet reprographié, 1891. École normale supérieure, Bibliothèque d’Ulm, Archives Demangeon-Perpillou

Air de « Fualdès »
I
Messieurs je tiens d’une source
Qui filtre à travers ces murs
Qui pour vos amusements futurs
Je vais être une ressource
Quoique d’moi l’on puisse dire
L’on ne me f’ra jamais rire.
Voyez, lisez, réfléchissez.
II
Je crains que sous cette forme
Votre temps ne soit perdu
Et qu’au lieu d’être assidu
Votre zèle ne s’endorme.
Songez qu’pour fair’trois années
Il n’faut pas beaucoup d’journées !
Voyez, lisez, réfléchissez.
III
Mais comme il faut qu’on respecte
A l’Écol’la tradition,

Étudiez sans distraction
Et d’un’manièr’circonspecte
L’expression géographique
De ma figure antarctique.
Voyez, lisez, réfléchissez !
IV
Consultez les statistiques :
Vous y verrez le transit,
La répartition d’l’esprit
Mis en cart’s scientifiques.
Méfiez vous des cart’s en vente
Qui seraient trop transparentes.
Voyez, lisez, réfléchissez !
V
Voilà les chos’s essentielles
Ce n’sont qu’des indications
Fait’s vous sur tout’s ces questions
Quelques idées personnelles
Qu’votr’revue soit au courant
Des découvert’s des Allemands
Voyez, lisez, réfléchissez.